Préface
Le travail d’un historien consiste à dire la vérité
clairement et sans ambiguïté autant qu’il est possible. Une telle démarche
peut sembler simple à un non-historien alors que ceux d’entre nous qui ont
beaucoup écrit sur l’histoire ont au contraire appris qu’elle est loin de
l’être. Un bon historien est un détective qui pourra consacrer des jours,
des semaines, des mois ou même des années à suivre la piste d’un
“simple” fait qu’il n’évoquera qu’au détour d’une ou deux phrases
en l’absence desquelles son travail lui semblerait incomplet. Il peut aussi être
tenté de passer sous silence des faits allant à l’encontre des intérêts ou
des traditions de ses collègues, de ses amis ou même du groupe pour lequel il
travaille. Il peut être contraint d’admettre s’être trompé en soutenant
des thèses ou des idées auxquelles à sa suite d’autres historiens avaient
cru pouvoir se fier. Il peut être amené à renoncer à se considérer comme
l’expert le plus éminent dans un domaine donné lorsque surgit un autre
historien dont les travaux éclairent plus exactement des points litigieux du
passé. Mais s’il est fidèle à lui-même, rien de tout cela n’aura pour
lui d’importance, car tout égoïsme doit être sacrifié sur l’autel de la
vérité.
J’ai le privilège et la fierté de connaître un historien qui
incarne ces qualités, un homme dont les écrits ont nourri mon inspiration dans
mes propres recherches sur la maçonnerie et dont l’honnêteté foncière ne
cesse de m’émouvoir alors qu’en même temps, chez d’autres, elle suscite
l’irritation. C’est à mon très cher ami et Très Illustre Frère, Alain
Bernheim, 33e, auteur du présent livre, que je fais bien sûr
allusion. Les écrits maçonniques d’Alain peuvent être simplement résumés
en deux mots : autorité et encyclopédisme. Sa connaissance incomparable des sources obscures,
son honnêteté éclatante, son ironie et parfois son sarcasme (toutes qualités
que j’admire) lui ont coûté cher. Elles ne l’ont pas rendu populaire auprès
de certaines “célébrités” maçonniques. Plusieurs “autorités éclairées”
de la recherche maçonnique ne savent pas comment l’aborder. Il est à la fois
redouté et respecté — au sens du mot allemand Ehrfurcht
— comme les dieux de l’Olympe. Car c’est bien de l’Ehrfurcht que l’on doit ressentir pour Alain. Que vos travaux
soient bons, il vous louera. Mais s’ils sont bâclés, si vous omettez
d’utiliser les sources primaires ou si vous “empruntez” les pensées ou
les recherches d’un autre auteur, vous regretterez vite d’être l’objet de
l’ironie et éventuellement du mordant des profondes connaissances d’Alain.
Dans son honnêteté, pas plus d’intention blessante que de dogmatisme.
L’une des premières choses que j’ai apprises à son sujet est qu’il ne souhaite
pas de critiques à propos de ses recherches, mais qu’il les
exige. C’est sa manière presque fanatique de se dédier à la recherche
de la vérité, de la vérité seule, qui fit naître le lien qui nous unit et
constitue la base d’une amitié que je tiens dans mon cœur.
Ses travaux sont trop nombreux pour être énumérés. Son analyse
des soi-disant Constitutions de 1786
est une étincelante enquête qui amena à établir qu’il s’agit d’un
faux. Nul exposé est plus limpide que son magistral article sur la datation des
documents maçonniques. Les travaux qu’il a publiés dans Ars Quatuor Coronatorum, Renaissance
Traditionnelle et plus récemment dans Heredom,
The Transactions of the Scottish Rite Research Society, sont inégalés et,
à mon avis, inattaquables. La palette d’Alain ne comprend pas seulement
davantage de couleurs que celle de n’importe quel autre érudit maçonnique,
mais il peint avec plus de finesse et davantage de souci pour le détail dans le
cadre d’un paysage élargi. Il apporte la lumière, plus de lumière et une
lumière plus intense dans chacun des domaines qu’il aborde. Il suffit d’étudier
son ouvrage de référence, Les Débuts de
la Franc-Maçonnerie à Genève et en Suisse (Genève: Slatkine 1994), pour y voir la naissance d’un nouveau modèle
d’exigence.
Le livre que vous avez entre les mains est une splendide
anthologie qui devrait être traduite dans le plus de langues possible. Je suis
ému à l’idée que ce recueil est maintenant livré à l’impression,
convaincu qu’il constitue les fondements d’une meilleure compréhension de
la franc-maçonnerie. Bien que je lise le français, l’allemand et
l’espagnol, j’espère que ce livre sera traduit dans ma langue maternelle,
l’anglais, car je suis convaincu qu’il servira à situer la place qu’Alain
mérite au sein du panthéon anglais qui rassemble les “doyens de l’histoire
maçonnique”, Gould, la “Sainte Trinité” Knoop, Jones et Hamer, et le
stupéfiant Harry Carr. J’ai le privilège de recommander Une
certaine idée de la Franc-Maçonnerie au monde maçonnique et je jure que
le lecteur en sera amplement récompensé.
Arturo de Hoyos 33e Grand Archiviste et Grand Historien Suprême Conseil des États-Unis d’Amérique, Juridiction Sud
Recension du Livre
Trois grands thèmes sont développés dans ce livre : La franc-maçonnerie obédientielle s'est organisée en Angleterre. Elle est devenue un Ordre initiatique avec l'apparition en France des premières instructions de langue française qui soulignent la nécessité de chercher la lumière et le rôle des Maîtres pour la répandre.
Initier, c'est transformer et faire renaître. Tel est le rôle des rites maçonniques dans les loges symboliques. Mais ils ne sont efficaces que si celui à qui l'initiation est conférée possède un don particulier, " s'il comprend bien l'Art ". Le langage de la franc-maçonnerie est celui des symboles. Ils ne doivent pas faire l'objet de commentaires car ils sont destinés à être montrés et transmis, non à être expliqués. Chacun en fait l'usage qu'il peut.
Au milieu du XVIIIe siècle les Irlandais introduisent la notion selon laquelle les Trois Grandes Lumières de la franc-maçonnerie seraient le Volume de la Loi Sacrée, l'équerre et le compas, alors que les plus anciennes instructions maçonniques connues, en anglais comme en français, attribuaient ce rôle à la lune, au soleil et au Maître de la loge. C'est alors qu'un certain ton, plus voisin des églises que des chantiers, est apparu dans les rituels.
Sa connaissance incomparable des sources obscures de la franc-maçonnerie fait des travaux d'Alain Bernheim une référence indispensable pour les historiens. Il fait siens les mots de Pierre Chevallier : " Le rôle de l'historien n'est ni de condamner les uns, ni d'acquitter les autres. L'historien, contrairement à une opinion reçue, n'a pas à juger, mais à expliquer et à faire comprendre ".
Bruno Virgilio Gazzo Directeur de PS Revue de Franc-Maçonnerie
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