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SUBLIME PRINCE DU ROYAL SECRET
par le Vén. Frère N.B.
Loge de Recherches Ars Macionica n° 30, Bruxelles, GLRB

publié : Acta Macionica, n°20 (6010)

On peut se poser la question de l'intitulé même du 32e degré du Rite Ecossais Ancien Accepté (REAA) : Sublime Prince du Royal Secret.

Le titre évoqué et les deux adjectifs qualificatifs ne semblent pas poser de problème :

*Sublime = super limen, mouvement vers le haut, visée de dépassement du seuil, de la limite. Il s'agit là d'un adjectif qui semble avoir été utilisé chaque fois qu'on voulait désigner un grade terminal à un moment quelconque de l'évolution d'un système de degrés. Il apparaît dès lors comme maintenu dans l'intitulé, même si, dans l'évolution ultérieure, le grade n'est plus terminal, mais marque uniquement une étape qui apparaît comme significative aux Adeptes qui, de nos jours, insistent (à tort) à discriminer entre grades REAA, importants et moins importants.

*Prince = Princeps est, dans le descriptif de l'organigramme de l'administration impériale romaine, ce que nous appellerions aujourd'hui un 'chef de cabinet'. Il s'agit donc d'un Initié auquel on reconnaît une fonction très élevée, liée, elle aussi, à la mise en œuvre d'opérations effectuées dans le cadre d'un grade qui a été considéré terminal. Nous avons donc, par exemple, 'Prince de Jérusalem' pour le 16e REAA, 'Prince du Tabernacle' pour le 24e REAA, titres maintenus dans l'intitulé bien que ces degrés ne soient pas, dans les différentes Juridictions, toujours et partout pratiqués.

*Royal = nous avons ici un adjectif qui peut évidemment se référer à un usage ou à une qualité propre d'une tête couronnée, mais aussi, et conformément à l'usage anglais, comme ayant une connotation intensive. Dans notre démarche, cela pourrait se référer à une expérience initiatique d'une grande intensité et expliquer dès lors des appellatifs tels que 'Art Royal', 'Arche Royale', 'Royal Hache', etc.

Titre et adjectifs sont là des connotations propres à un grade considéré éminent, ce qui n'est pas étonnant puisqu'il s'agit du dernier échelon de l'Ordre du Royal Secret, l'échelle mystique qui constitue l'ossature du Rite. Tout au long du parcours, les Adeptes ont été habitués à l'utilisation de ce genre d'adjectifs ou substantifs marquant le caractère ultime ou qui,semble particulièrement significatif d'une étape de la démarche écossaise.

Il en est autrement en ce qui concerne la notion de 'Secret'. Bien que nous l'ayons rencontrée souvent, sous la forme adjectivale ou comme substantif, dans les pratiques REAA, la clarification qu'on pourrait en tirer reste, sur le plan des résultats, très nuancée. La recherche étymologique étant toujours utile, 'secret' venant de cernere précédé du renforcement se- et donc : trier en séparant en distinguant, en mettant à part, en définitive, en rendant moins visible, en occultant ; aucune explication particulière ne découle de cet examen ainsi que, par ailleurs, de toute tentative ultérieure de rapprochement avec l'origine de l'adjectif 'sacré'.

Il est, en effet, évident que la recherche de sens ne peut ici être déconnectée du contenu initiatique du grade faisant l'objet du présent traitement, ce qui impliquerait, certes, l'examen attentif de l'apparat rituel spécifique qui s'y rapporte. Mais avant d'essayer de fournir une réponse, il convient de placer les balises de cette recherche rituelle. Quels sont les rituels qui entrent ici en ligne de compte ?

Plusieurs rituels du 32e grade REAA, octroyés présentement par les différentes Juridictions, sont de confection relativement récente et correspondent à des concepts symboliques qui les soutiennent, qui les inspirent, mais qui méritent d'être lus et vécus en pleine symbiose avec le rituel fondateur pratiqué en 1804.

On vise à souligner par là le rôle cardinal des rituels du début du 19e siècle qu'il convient de fréquenter assidûment afin d'en pénétrer l'unité organique avec ceux que nous pratiquons aujourd'hui, de sorte que ces derniers soient vécus et interprétés en fonction du concept qui a inspiré leurs ancêtres. C'est un impératif de l'esprit consistant à maintenir la mémoire de l'origine, la conformité au message principiel, tout en laissant un surplus de sens à découvrir notamment dans ce que la modernité nous apporte. Ce message est indestructible dans ses effets comme dans son énoncé; autour de lui s'unissent en communion les Frères morts et vivants; on peut le supprimer, et avec lui le Rite; on ne peut pas le modifier. Il s'agit plutôt, comme il est coutume dans d'autres cénacles de la pensée religieuse, où l'on médite sur le sens des Ecritures, de revenir sans cesse à un réexamen minutieux des écrits de l'époque fondatrice, afin d'en pénétrer l'unité organique.

Une telle lecture symbiotique est justifiée par la nature même des Suprêmes Conseils. Ces derniers, comme tout le monde sait, sont des entités destinées à prospecter la voie contemplative, la royauté transcendante, à rendre vivante dans le coeur des Adeptes la préfiguration du Saint Empire. Construction mystique, celle-ci, qui guide et illumine le monde, système complet et harmonieux, destiné à se porter en exemple de tous les royaumes spirituels, oeuvre si grande et si belle, comme le soulignent les lois fondamentales REAA, si juste et si nécessaire. De par leur tâche mystique, les Suprêmes Conseils, expression de l'autorité impériale transférée dans son intégralité, grâce aux reconnaissances réciproques, sur chacun des Suprêmes Conseils des différents pays, sont des entités uniques, elles-mêmes mystiques, ne connaissant pas de discontinuités depuis 1804 jusqu'à ce jour.

Ainsi encadrés par ce que j'appellerais une toile de fond, nous pouvons nous poser les questions concernant le terme 'Secret'.

Quelle est sa nature?

Pourquoi faut-il cacher quelque chose ?

Le Secret, ici appelé 'royal', est-il propre au 32e ?

Le Secret dont il est question ici est le même qui a été, prudemment, révélé en Loge Symbolique aux Adeptes et qu'il leur appartient de transmettre et de protéger. Le mode opératoire d'appropriation de ce Secret étant la pratique rituelle, on peut en suivre l'insertion dans la démarche écossaise à partir du grade de Maître et, après, via le message d'Épernay dont fut porteur le chevalier de Ramsay, jusqu'à la confection de ceux qui sont aujourd'hui les rituels du 32e.

Mais procédons dans l'ordre.

Pour commencer, on pourrait être tentés de recourir au Camp dont l'image ennéagonale rappelle d'une façon emblématique les villes utopiques qui jalonnent l'imagerie littéraire dans les siècles, en premier lieu Adocentyn, la ville illuminée par un phare central, reprise dans Picatrix, le document attribué à Hermès, qui a été célébrée dans le contexte de la tradition de la Renaissance. On peut bien sûr penser aussi à la 'Cité du Soleil' avec ses lumières centrales, due à la plume de Tommaso Campanella, quelques siècles plus tard, et qui fait partie de cette même tradition.

Néanmoins, même si cette structure spirituelle utopique, adaptée à la démarche écossaise par des polygones empruntant divinement la série impaire 3,5, 7, 9. peut encore rester énigmatique, le 32e en révèle certains aspects et, en tout cas, il ne semble pas que l'intention ait été de la cacher.

Ce qui est, par contre, intéressant est que, compte tenu de la nature allusive de la démarche écossaise et des particularités du Rite issu de la vision de cette époque, le clin d'oeil implicite fait à l'esprit de la Renaissance n'est pas le fruit du hasard. Il nous signifie que ce type de configurations appartient à un monde ésotérique aujourd'hui disparu. Et il convient de procéder à une incursion dans ce monde.

Quelle était l'idée de base à laquelle la Renaissance était attachée ?

C'était l'idée d'une doctrine secrète, transmise entre initiés et basée sur toutes les croyances du pourtour méditerranéen, permettant d'envisager, à partir d'un Centre qui est partout, sa circonférence n'étant nulle part, une ascension mystique, à travers des dignités, des sphères, des hiérarchies angéliques et niveaux planétaires, sur une échelle conduisant à l'imprégnation de la réalité divine. L'illumination, à cet effet, découlait de la contemplation du cosmos, ou plutôt du cosmos, tel qu'il est reflété à l'intérieur de nous.

Cela à travers la tradition numérologique de Pythagore, les conceptions exposées dans le Timée de Platon, les théories de Vitruve sur l'architecture, les manipulations alchimiques à partir des quatre éléments. Sans compter le pouvoir des Noms divins, qui, bien intégrés et incorporés dans notre esprit, auraient permis d'avoir accès à une compréhension de la nature de Dieu et de l'univers, grâce aussi à l'approche cabalisante; le tout comportant une connexion avec les nombres, mesures et poids gouvernant la Création ainsi qu'avec le concept de Temple, surtout celui de Salomon.

Le Un, on en voit l'expansion dans les trois mondes, l'angélique, le céleste et le corruptible, chaque monde recevant les influences du monde placé au dessus de lui.

Ce qui nous intéresse le plus est le  monde intermédiaire. Celui-ci, qui héberge planètes et étoiles, dont on admire la régularité rigoureuse; qui est dominé par les formes mathématiques et géométriques ; celles-ci, tout en étant incorruptibles et éternelles, sont néanmoins accessibles à l'homme. Ces formes structurent l'Esprit du monde et assurent la liaison entre tous les éléments de cette grandiose réalité.

Mais le monde corruptible aussi n'est pas sans intérêt, car l'infiltration des intelligences suprêmes permet des fibrillations et des combinaisons des quatre éléments, ce qui explique le besoin de s'emparer des Secrets alchimiques.

La parfaite proportion qui caractérise le monde des intelligences suprêmes filtre, en effet, vers le bas, jusqu'à la pierre la plus infime. L'homme, étant fabriqué à l'image de son Créateur, ses proportions sont parfaites, elles sont célestes, ses membres étendus entrent parfaitement dans un cercle. Ces proportions humaines et en même temps divines définissent les mensurations du Tabernacle et dès là du Temple de Salomon.

Or, ce Temple mystérieux, fondé sur les lois numériques de la proportion (il est même l'exemple le plus haut de numérologie architecturale), est l'archétype des lois d'harmonie que le Créateur a appliqué à l'univers tout entier. En définitive, macrocosme et microcosme correspondent parfaitement, imprégnés qu'ils sont par l'Esprit du Monde.

Gouverné par des lois numériques, le Tout, image vivante de Dieu, peut être interprété seulement comme nombre, ce dernier pouvant être des lois physiques, des rythmes vocaux, des actions morales bien ordonnées.

Le cosmos est donc une unité organique et vivante où chaque partie est liée aux autres par des rapports réciproques d'influence mutuelle. Si tel est le cas, pourquoi ne serait-il pas permis à l'homme, lui-même si fondamentalement divin, si inextricablement lié à l'Un-Tout, ayant accès à la géométrie, capable de manipulations alchimiques sur les quatre éléments, inspiré par l'approche cabalisante, de capter à son propre avantage les influences célestes ?

Si l'opérateur pouvait entrer en contact avec les différents niveaux de l'Être, il pouvait non seulement en capter un certain nombre de valeurs positives, mais même enrichir ce niveau élevé ; et contribuer ainsi aux opérations relevant de l'Artisan Unique (en étant à son image, devenir donc une sorte de géomètre et alchimiste spirituel). Comment y parvenir ? Il ne suffit pas, en effet, de connaître les arcanes du monde, d'en avoir décomposé et saisi les éléments essentiels. Il faut être capables, pour faire commerce avec les choses divines, pour se hisser à ces sommités, d'identifier l'outil pour y parvenir.

Certes, on sait que l'objectif final sera de créer sur terre une Cité de Beauté et de Perfection déjà préfigurée par les Ecritures comme la Jérusalem Céleste. Et Georges Gémiste Pléthon, l'un des protagonistes de la première Renaissance, n'avait-il pas préfiguré, dans ses accents prophétiques, la fin des trois monothéismes et la venue de la cité platonicienne, architecturée en tant que rite et loi de vie?

Ces mouvances de la Renaissance contenant déjà des éléments géométriques, alchimiques et cabalistiques, se déplacèrent, en partant de Florence, d'abord à Venise, centre d'imprimeries multi-alphabets, et ensuite en Allemagne, France et Angleterre ; et ce, comme on l'a dit, du 15e siècle jusqu'à bien avant dans le 17e, justement quand apparaissent les premières traces de la démarche qui est maintenant chère aux Adeptes. Ces mêmes mouvances avaient imprégné des cercles restreints, impressionnés par des pratiques obscures de reconnaissance auxquelles s'étaient adonnées depuis quelques siècles les ateliers de maçons, encadrés par de vieux grimoires, notamment via la transmission du Mot.

Ad obscurum per obscurius. Parvenir au ténébreux par ce qui est encore plus ténébreux. Ces cercles furent induits ainsi à concevoir des pratiques rituelles répétitives, centrées sur le Nom de Dieu, constituant une méthode permettant d'obtenir un contact avec la présence divine.

En effet, dès le départ de l'approche maçonnique, au 17e siècle, on fait état d'une sorte de tradition rabbinique portant sur un traitement particulier des colonnes Jakin et Boaz, donc sur le Temple de Salomon. Au centre des échanges de reconnaissance des Frères, ces colonnes dans leur énoncé sont porteuses de voyelles qui permettraient, assemblées d'une certaine manière, de prononcer le Mot de reconnaissance des Maîtres, càd le Tétragramme. L'assemblage suit la règle de trois, car la géométrie qui est à la base des œuvres divines et humaines présente le triangle comme la première perfection, ce qui est complet en soi et qui n'a pas de début ou de fin, la notion même de Divin. Cette approche évolue en montrant que trois grands Initiés seulement Salomon, le Roi de Tyr et Hiram, ont cette faculté qui est empêchée de s'exprimer en raison de l'assassinat d'Hiram. Le Mot est donc perdu ou plutôt occulté ; et tel il doit rester, car posséder le Nom signifie posséder l'Être désigné et nous ne pouvons pas posséder Dieu. Et même quand on peut penser de l'avoir retrouvé, la destruction du Temple fait en sorte que le Grand Prêtre, le seul que la Tradition considère autorisé à cet effet du fait du degré extrême de purification qui le caractérise, ne peut plus le prononcer. Nom de Dieu et Temple sont donc dans cette mouvance étroitement liés.

Si l'on reste dans ce contexte mystique, il apparaît clairement que, dans notre démarche, le Secret par excellence est représenté par le Mot Véritable, le Nom Divin, l'Ineffable enfoui dans nos consciences que nous essayons toujours, dirais-je indéfiniment, de définir, par nos pratiques répétitives, tout en sachant que nous avons à faire avec l'Indéfinissable. Mot qui se déplace constamment au fur et à mesure de notre avance.

Les fonctions des 3e et 4e degrés REAA restent donc incontournables et la Mort d'Hiram représente une nécessité pour que la Divinité même dans son essence soit exaltée et portée à ce niveau de Splendeur qui est le fondement même de la véritable Initiation. La non-prononciation, le fait de devoir se contenter, pour pouvoir continuer la tâche initiatique, d'un Mot Substitué, ont, en effet, pour conséquence d'exalter la Grandeur de Dieu. Cela explique pourquoi le Nom de Dieu reste obscur. Ce qu'on vient de dire a mûri lentement entre 1723 et 1738, tout en étant bien sûr implicite et en veilleuse depuis plusieurs décennies, les deux dates représentant la première et la deuxième édition des Constitutions d'Anderson.

Mais ce qui est encore plus significatif est que dans cette mouvance, vers la fin de cet intervalle, le 26 décembre 1736 se greffe Epernay. En cette date et en ce lieu-là, le chevalier de Ramsay est supposé lancer son fameux Discours. Il y précisait que « la lettre de nos lois, de nos rits et de nos Secrets ne se présente souvent à l'esprit qu'un amas confus de paroles inintelligibles, mais les Initiés y trouvent un mets exquis qui nourrit, qui élève et qui rappelle à l'esprit les vérités les plus sublimes. Il est arrivé parmi nous ce qui n'est guère arrivé dans aucune autre société ( ...) jamais aucun frère n'a trahi notre Secret ». Et de rappeler les vers d'Horace: Il est au silence fidèle une récompense assurée, mais à celui qui aura divulgué les rites de la mystérieuse Cérès j'interdirai qu'il vive sous mon toit ou s'embarque avec moi sur un fragile esquif. Ainsi que de donner un cadre mystique du début de l'Ordre au temps des guerres saintes dans la Palestine où princes, seigneurs et artistes rappelèrent les signes anciens et les paroles mystérieuses de Salomon pour se distinguer des infidèles et se reconnaître mutuellement, ces concepts étant développés et renforcés dans la version imprimée de 1738. Tout au cours du 18e siècle, les paroles de Ramsay et son cadre mystique furent repris dans les nombreux rituels ainsi que dans les également nombreuses divulgations sur l'Ordre de la deuxième moitié de ce siècle, qui se font l'écho les uns des autres de cette vision, de différentes manières, dans un temps mythique.

Nous sommes grâce à ces récits en présence d'une longue lignée d'Initiés et d'événements ésotériques liés à une histoire où la fable se mêle à la chronique, dans une dimension d'utopie et d'espoir, qui les voient confluer, via l'Ecosse, vers Paris et Bordeaux, lieux emblématiques de la spiritualité de notre Ordre. Images de la communion initiatique se mêlant à celles d'un Saint Empire vrai ou féerique, sorte de Temple magnifié à la dimension de la planète. Images où la pure rêverie se mêle à la foi, mais avec une réalité unique en perspective: la construction du Saint Empire, schéma de dépassement de clivages, image adaptée à la Franc-Maçonnerie comme voie aux perspectives intemporelles.

Les trois piliers de la démarche écossaise: Construction du Temple; Centre de la visée, c’est-à-dire la Divinité; et Lumière de l'initiation, se trouvent dès lors réunis.

Quant aux divulgations sur l'Ordre, elles sont nombreuses et on peut difficilement les mentionner toutes. Mais il y en a une qui doit retenir notre attention et qui est intitulée 'Les plus Secrets mystères des hauts grades de la Maçonnerie dévoilés, ou le vrai Rose-Croix', publiée à Jerusalem  en 1766 par le chevalier de Bérage, conseiller à la cour royale.

Après avoir indiqué que le contenu de la divulgation permet de développer le vrai but pour lequel la Franc-Maçonnerie a été faite et les vrais Secrets qui n'ont jamais été révélés, le texte précise que les Infidèles s'étant emparés des Lieux Saints, où se sont passés tous les mystères de notre ordre auguste, les Croisés se liguèrent pour conquérir ce beau pays et chasser ces barbares d'une terre aussi respectable. Mais les pertes considérables qu'ils subirent les obligèrent de vivre et de rester confondus parmi les Infidèles, ce qui  détermina Godefroi de Bouillon, leur Chef, à cacher et à couvrir les mystères de la religion sous des emblèmes et allégories. En particulier, ils cachèrent le mystère de l'édification de la Foi sous celui de la construction du Temple et ils se donnèrent, à cet effet, le nom de Maçons, d'Architectes ou Bâtisseurs. Ils s'assemblaient dès lors sous le prétexte de lever des plans d'Architecture pour mettre leur vie à l'abri des cruautés des Infidèles. Comme les mystères de la Maçonnerie ne sont dans leur principe et ne sont encore autre chose que ceux de la religion, on fut extrêmement scrupuleux à ne confier ce Secret important qu'à ceux dont la discrétion était éprouvée et dont on était bien sûrs. C'est pourquoi on imagina de faire des Grades pour éprouver ceux à qui on voulait les confier et on ne leur donnait d'abord que le Secret symbolique d'Hiram. On ne leur expliquait pas autre chose, crainte d'être trahi ; et on leur avait confié ces Grades comme un moyen propre pour se reconnaître entre eux. Pour réussir plus efficacement, il fut résolu qu'on se servirait de signes, de paroles et de marques différentes à chaque Grade.

Il s'agit certainement d'un texte qui dut impressionner d'une façon particulière Estienne Morin, créateur de l'Ordre du Royal Secret, qui utilisa plusieurs phrases de ce texte, telles quelles, pour confectionner le rituel du grade qui nous occupe aujourd'hui et qu'il devait finaliser entre 1766 et 1771, année de sa disparition. Comme tout le monde sait, les rituels de Morin, copiés par Francken, constitueront l'ossature de notre Rite et seront repris pour l'essentiel dans la collection en 33 degrés de 1804, préservée par le Dr Kloss.

Qu'est-ce qui a poussé Estienne Morin à créer une échelle de 25 grades, une quinzaine lui ayant été octroyés et dix autres probablement inventés par lui-même? Pourquoi, à la fin des années '60 du 18e siècle, Estienne Morin a-t-il cru bon de donner vie à ce Prince du Royal Secret? Quel sens avait cette opération pour lui et que représente pour nous d'être aujourd'hui participants actifs de cette entreprise spirituelle ?

Tout le monde a entendu parler d'Estienne Morin, mais au fond de qui s'agit-il ?

Comme nous l'avons fait pour la mouvance de la Renaissance, remettons-nous, pour bien comprendre son entreprise, dans l'ambiance de cette période. Dans son 'Histoire des Sectes Religieuses', l'Evêque constitutionnel de Blois,  le fameux Abbé Grégoire, nous donne une description très vivante de la société des francs-maçons du 18e siècle; « Soit qu'il y ait des Secrets réels dans la société, soit que son Secret consiste à persuader qu'elle en a, c'est toujours un attrait puissant pour bien des gens ; on sait que les hommes aiment à se donner de l'importance en se couvrant de voiles mystérieux ». Par ailleurs, on estime qu’au 18e siècle des âmes inquiètes étaient, de toutes parts, en quête d'une foi nouvelle, phénomène qui permet de constater comment s'épanche alors la pensée mystique au sein de l'incrédulité. L'Abbé Grégoire lui-même, par ailleurs, s'était laissé dire par le grand mathématicien Lagrange que « la franc-maçonnerie était une religion avortée ».

Quand à Estienne Morin, il était un négociant opérant entre Bordeaux, Paris, Saint Domingue, la Martinique et la Jamaïque, de toute évidence passionné de franc-maçonnerie. Né à Cahors en 1717, il apparaît s'intéresser à notre démarche bien avant ses 27 ans, quand (nous sommes en 1744) il initie un avocat parisien aux mystères de la perfection écossaise. Le fait d'être capturé par un bateau anglais lors d'une traversée ne l'empêchera pas de passer les quelques mois d'emprisonnement à Londres et à Edimbourg pour s'intéresser aux «grades sublimes» qu'il découvrira à cette occasion. Il mourra à Kingston à La Jamaïque en 1771.

En créant une échelle de grades, Morin n'était pas seul. Von Hund et Starck pour la mouvance templière, Eckleff pour le rite suédois, Willermoz pour le RER sont autant de ‘Morin’ qui ont souhaité, comme l'on a souvent dit, mettre de l'ordre dans le foisonnement de la rituélie maçonnique au 18e siècle. Mais cette mise en ordre, était-elle vraiment le souci principal de ce genre de personnages?

N'oublions pas l'enthousiasme mystique évoqué plus haut. On ne peut éviter de penser qu'Estienne Morin était loin de représenter 'un accident inexplicable dans l'histoire des idées, un phénomène solitaire. Sa voie lui était tracée ; son auditoire préparé. Le siècle était habitué aux messies, en tout cas à ceux qui visaient à résumer toutes les tendances mystiques dans une tentative désespérée de système.

Le Temple, préfiguration de la Jérusalem céleste et du Saint Empire, a été donné dans ses mensurations par Dieu. Cela veut dire que ceux qui le rebâtissent et le défendent participent à la Création à condition qu'ils connaissent ces mensurations moyennant l'union mystique avec la Divinité réalisée via un rituel répétitif de Construction. Le grand Secret qu'il faut préserver à tout prix, en le protégeant, préservation symbolisée par la garde des Lévites au Saint des Saints, est l'union mystique ainsi visée qui a lieu dans le coeur des Adeptes. Union mystique qui inclue la dimension alchimique, en tant que mise en exergue de l'approche de la Renaissance.

Gloria Dei est Celare Verbum. L'Occultation de la Parole nous ouvre Dieu dans Sa Splendeur. C'est là, d'après Albert Pike, le Secret par excellence, le noyau de l'approche maçonnique qu'il propose à notre réflexion en terminant son traitement du 32e degré. Car, c’est en cachant la Parole qu’on opère à la gloire de Dieu; Verbe qui est la manifestation de l’Être et qui ne peut être donné en repas aux pourceaux ; d’où la nécessité de transmettre l’enseignement uniquement à ceux qui en comprennent la signification réelle, en le cachant sous des mots ou des apparences sorties de l’usage ambiant, de sorte que leur vraie nature soit occultée; et les symboles, leur fonction, est à la fois de signaler un sens plus profond et de cacher ce même sens profond ; cette ambiguïté est une des caractéristiques de la démarche écossaise ; si bien que le fait qu’il y ait une présentation, par exemple de ‘type chrétien’, dit simplement que cette présentation a été réalisée afin de cacher une vérité plus substantielle que l’on ne voulait absolument qu’elle fût connue; distraits par l’apparence, les ennemis de la démarche se perdent ainsi en conjectures et ne parviennent pas à identifier la vraie signification.

Nous comprenons mieux après cette incursion, réalisée grâce à la symbiose entre le rituel du début du REAA et les rituels actuels, la profondeur de l’approche écossaise, celle d'un véritable Trésor, le Secret sans fin dans la visée de Dieu. C'est la force de la Foi écossaise. C'est le soutien de chaque Commandeur: Soutenons À présent l’invincible Xerxès, nous offrons notre incomparable sacré trésor et nous gagnerons victorieusement. Ce cri de la Foi Agissante, occultons-le, comme l'aurait fait Godefroi de Bouillon, sous l'acronyme SALIX NONIS TENGU !

Bâtisseurs du Temple Spirituel, preux Chevaliers qui défendez les avenues sacrées qui y conduisent, Cabalistes familiers des structures divines, Alchimistes à la recherche du métal inaltérable, c’est-à-dire de la Splendeur de Dieu. Voilà l'alliance invincible de ceux qui s’unissent autour du concept d’un ‘Xerxès’ appartenant à la filière des grands rois de Perse, Oints du Seigneur, emblèmes d’une universalité impériale mystérieuse couvrant des populations nombreuses, exemples d’un Empire qu’il ya lieu de recomposer sur terre.

Sublime Prince du Royal Secret.

Chacun de ces éléments brille maintenant d'un éclat particulier. Le Secret, préservé et défendu, permet à chacun des membres, parfaitement intégrés de la communion initiatique, de réaliser une expérience mystique intense, donc vraiment 'royale'; et c'est tout à fait normal qu'on se compare à des 'Princes' ou Directeurs de l'initiation dont le but est super limen. Ne s’agit-il pas de faire évoluer le monde spirituel, suprasensible, vers des niveaux de plus en plus élevés en épaisseur et en richesse d'actions créatrices, vers une royauté d'esprit et d'amour de sorte que ce potentiel d'influence atteigne le sommet ? N’est-ce pas la visée de l’union mystique qui permet aux cinq rayons provenant du Centre, parfaite représentation sur terre du Principe Universel et qui s'étendent aux plus lointains horizons initiatiques, d’atteindre les destinataires de sorte que ceux-ci ouvrent leur esprit à la perception de l'immanence et de la transcendance ?

Cette incursion nous dit aussi quelque chose de plus profond.

En fait, probablement nous nous trouvons a gérer un monde ancien, un monde disparu, au langage et aux images duquel nous n'avons plus totalement accès. Les ouvrages mêmes que nos Prédécesseurs lisaient, ne correspondent-ils pas pour la plupart à des noms qui ne nous disent plus rien et même parfois difficiles à identifier dans les grimoires-bibliothèques dont nous avons quelques traces ?

C'est pour nous un retour en arrière : un retour à ce moment du 19e siècle (autour de 1830) où, même chez les Adeptes, un certain discours a été interrompu, un discours privilégiant l'obscur et le confus par rapport à la pensée claire et distincte. La négation de ce discours a réduit à la proportion la plus infime du grand monde, notamment aux occultistes, aux voyants et aux astrologues, une approche qui a sa raison d'être, même si elle est contraire à la raison officielle, au politiquement correct, comme on dirait aujourd'hui.

Car, tout réduire à ce qui est clair et distinct implique l'oubli d'une partie importante de la réalité, d'une partie troublante, celle des impondérables, de la mort et du songe ainsi que des forces de l'amour et de la haine qui si puissamment nous rappellent leur existence dans la vie de tous les jours; sans oublier la spontanéité enfantine et celle des poètes. Cette occultation de l'obscur et du confus élimine donc une partie importante de la réalité où nous baignons, avec laquelle nous interagissons, ce non-manifesté dont nous sentons la présence sournoise, ce qui est probablement le plus simple et le plus essentiel, à la richesse infinie et infiniment nuancée.

Mais cela sollicite aussi un témoignage ému du présent, car c'est chez les francs-maçons de Tradition et du REAA, c'est dans le petit monde ‘écossais’ que s'est surtout réfugiée cette façon d'être et de penser. Nous avons hérité une partie appréciable de ces cercles du 17e siècle. Les effets de cette société ancienne se maintiennent intacts dans la mesure où les ateliers REAA restent ce qu'ils sont, véritables bouillons d'une culture disparue, d'une pensée vaincue dans le grand monde, dont l'audience s'est rétrécie à une peau de chagrin. L'homme moderne a cru pouvoir renoncer à considérer cette Tradition comme l'une des bases de son évolution spirituelle. Les cercles privilégiés REAA restent ainsi les seuls préservateurs de ce message. En tant que récepteurs, en tant que fils de cette Tradition, que font-ils de fondamental, en la cultivant ? Ils se retirent dans la Tradition, ils s’y abandonnent et se remettent à Dieu pour assurer la maturation lente de leurs âmes vers l'éveil. Par cette fidélité, ils assurent le retour à l'expérience intérieure fondatrice et refusent la résignation. Dotés d’un élan religieux fervent, brûlant et actif dans la voie de la Connaissance, ils luttent pour la défense de la cause sacrée embrassée par l’Ordre. Ils assurent le mouvement vers un Savoir nouveau et durable, vers ce qui est semblable à leur âme immortelle, vers le monde subtil, divin, caché en notre cœur, expression d'un arcane, d'un abîme  insondable, au Secret ineffable, en d'autres termes vers l’Invisible.

Bibliographie 

-Bangs, Herbert P.,  ‘The Geometry of the Visible Lodge’, Heredom, 7

-(Bérage, Chevalier de),  Les plus secrets mystères des hauts grades de la maçonnerie dévoilés ou le vrai rose-croix, traduit de l’anglois ; suivi du Noachite, traduit de l’allemand, à Jérusalem, 1766

-Bergroth, Tom C., ‘Le rêve chevaleresque secret de la franc-maçonnerie’, Renaissance Traditionnelle, 120

-Bernheim, Alain :

2008, Une certaine idée de la franc-maçonnerie, Paris, Dervy

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‘Une découverte étonnante concernant les Constitutions de 1762’, Renaissance Traditionnelle, 59

‘Les Rituels Maçonniques et la Suisse’,  Acta Macionica, 13

‘Présentation des problèmes historiques concernant le Rite Ecossais Ancien et Accepté’, 61

‘Le « Bicentenaire » des Grandes Constitutions de 1786 : essais sur les cinq textes de référence historique du Rite Ecossais Ancien et Accepté (1ère partie), Renaissance Traditionnelle, 68 ; (2ème et 3ème parties), Renaissance Traditionnelle, 69 & 70

‘Recherches sur les origines du Rite Ecossais Ancien et Accepté – Réflexions sur quelques-unes de ses manifestations au XXme siècle’, Les Cahiers du Pélican, 14

‘Did Early « High » or Ecossais Degrees originate in France ?’, in Freemasonry in Context – History, Ritual, Controversy, Lexington Books

‘Estienne Morin et l’Ordre du Royal Secret’, Acta Macionica, 9

‘Faut-il récrire l’histoire du REAA ?’, Pax Vobis, 1/2000

‘Le Temple, lieu sacré [?]’, Alpina, 2/2003

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