La Franc-Maçonnerie
On
doit à Marius Lepage et à son livre, L’Ordre
et les Obédiences, d’avoir mis en lumière la distinction essentielle
entre l’Ordre maçonnique et les obédiences maçonniques :
Les Loges peuvent
exister sans Grandes Loges ou Grands Orients assurant leur fédération.
L’inverse n’est pas vrai. Ni Grande Loge ni Grand Orient ne peuvent exister
sans les Ateliers dits “bleus” qui en sont la base.
Ainsi se révèle
clairement la différence entre l’Ordre et l’Obédience.
L’Ordre, — la
Franc-Maçonnerie traditionnelle et initiatique, — n’a pas d’origine
historiquement connue. Pour reprendre l’expression ordinairement employée, il
date de “temps immémoriaux”. [...]
Les Obédiences, au
contraire, sont des créations récentes, dont on peut, — bien qu’avec
quelques difficultés et imperfections, — décrire la naissance, dont l’existence
est ensuite bien connue dans la plupart des détails. Mais si l’Ordre est
universel, les Obédiences, quelles qu’elles soient, sont particularistes,
influencées par les conditions sociales, religieuses, économiques et
politiques des pays dans lesquelles elles se développent.
L’Ordre est d’essence
indéfinissable, et absolue ; l’Obédience est soumise à toutes les
fluctuations inhérentes à la faiblesse congénitale de l’esprit humain.
ENTRETIEN AVEC ALAIN BERNHEIM
Destiné avant tout aux jeunes initiés, mais conçu également pour les Maçons confirmés, Réalité Maçonnique, numéro hors série de Masonica, recèle des informations d'un grand intérêt pratique.
Bruno V. Gazzo, Directeur de PS Revue de Franc-Maçonnerie a interviewé l'auteur pour découvrir plus...
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BG : La Grande Loge Suisse Alpina est une Grande Loge régulière, reconnue dans le monde entier. Chaque corps maçonnique a ses propres caractéristiques. Quelles sont celles de cette Grande Loge?
AB: La principale est sans doute la liberté dans la diversité. Cette diversité est celle de la Suisse, de ses cantons aux coutumes et aux lois différentes, et des diverses influences successives que la franc-maçonnerie suisse a connue depuis ses origines : Angleterre, France et Allemagne. De ces influences fort différentes, la franc-maçonnerie suisse a tiré sa personnalité propre et son originalité.
BG: La Grande Loge Suisse Alpina est-elle une Grande Loge de type “latino-continental” ou de type anglo-saxon?
AB: Elle n’est ni l’une ni l’autre. Pour tenter de comprendre sa spécificité, il faut rappeler son histoire. La première loge de Lausanne, patentée en 1740 par la Grande Loge des Modernes, devint une Grande Loge Provinciale éphémère relevant de l’Angleterre. Genève, République indépendante jusqu’à son annexion par la France en 1798, avait une Grande Loge fondée en 1769 par plusieurs loges sans aucune intervention étrangère et n’est devenue un canton de la Confédération Helvétique qu’en 1815. Les loges de la Suisse alémanique (Bâle, Zurich) ont par contre été longtemps sous la seule influence du Rite Écossais Rectifié - le Grand Prieuré Indépendant d’Helvétie fut installé en 1779 par Jean de Türckheim, Commissaire de la Vème Province établie à Strasbourg. Au temps de l’occupation française, un Grand Orient National Helvétique Roman et un Grand Directoire furent fondés à Lausanne en 1810. A Berne, une Grande Loge Provinciale fut patentée par la Grande Loge Unie d’Angleterre en 1818 et une Grande Loge Nationale Suisse, dont ne faisaient pas partie les loges alémaniques, en 1820. Unir tous ces courants si divers demanda du temps, de la tolérance et de la patience. L’unification de la franc-maçonnerie suisse, réalisée avec la fondation de la Grande Loge Suisse Alpina, ne s’est faite qu’en 1844.
BG: Tu écris dans Réalité Maçonnique: «Pour que l’initiation que la franc-maçonnerie est susceptible de transmettre devienne effective, certaines conditions doivent être remplies». Est-ce que tu ne pourrais pas t’exprimer d’une manière moins énigmatique à l’intention des jeunes francs-maçons?
AB: C’est à eux d’approfondir la signification de cette phrase. L’esprit de la franc-maçonnerie et ce qu’elle transmet ne se trouve pas dans les livres et encore moins dans les mots. L’initiation maçonnique n’est pas conférée par un individu mais par un groupe : la loge. Pour qu’un homme devienne maçon, il est indispensable qu’il ait en lui une prédisposition, une virtualité, que l’initiation éveillera. Il faut aussi qu’une loge soit susceptible de lui transmettre cette initiation
BG: Tu évoques brièvement les pourparlers entre l’Église Catholique Romaine et la franc-maçonnerie de langue allemande, mais tu ne mentionnes pas la Déclaration de la congrégation pour la doctrine de la foi (26 novembre 1983) qui était alors présidée par le cardinal Ratzinger. Pourquoi? L’irréconciliabilité était-elle déjà décidée en avril 1980 par la Conférence épiscopale allemande?
AB: Je ne suis pas habilité à interpréter les encycliques ou les déclarations de l’Église. Je ne peux que constater que celles-ci n’auraient changé que dans l’esprit de quelques-uns qui prennent leurs désirs pour des réalités. Un incident, survenu au cours des pourparlers que ta question évoque, mérite d’être rapporté. On sait que les francs-maçons allemands avaient cru licite de soumettre et de communiquer leurs rituels aux négociateurs catholiques. A la suite de quoi ils se trouvèrent confrontés à des objections de nature théologique auxquelles ils se reconnurent incapables de répondre. Au cours d’une réunion qui eut lieu le 2 mars 1976 entre les Présidents des deux délégations, l’ancien Grand Maître Vogel demanda à son homologue, Mgr. Stimpfle, évêque d’Augsbourg, de pouvoir adjoindre à sa délégation un expert en théologie - en l’occurrence un prélat romain, Mgr. de Toth - ce qui lui fut accordé. Or, deux jours avant la réunion prévue pour le 13 mars suivant, et alors que Mgr. de Toth était déjà en route, trois théologiens de la délégation catholique déclarèrent qu’ils n’assisteraient pas à cette réunion si un expert en théologie était présent au sein de la délégation maçonnique. La réunion n’eut pas lieu. Chacun a pu lire dans Le Figaro du 5 mars 2007 une déclaration du régent du Tribunal de la pénitencerie apostolique, Mgr Gianfranco Girotti: «L’Église catholique a toujours critiqué la conception mystique propre à la franc-maçonnerie, la déclarant incompatible avec sa propre doctrine». Et il rappela, avec la Congrégation pour la doctrine de la foi, que l’adhésion à une loge maçonnique «demeure interdite par l’Église».
BG: Je serais curieux de savoir si dans un pays libéral comme la Suisse, la franc-maçonnerie a jamais été interdite par la loi. AB: Elle l’a été brièvement en 1745 dans le seul canton de Berne. Une seconde tentative eut lieu au cours du 20ème siècle. Le colonel Arthur Fonjallaz lança ce qu’on appelle en Suisse une initiative (en France, un referendum) afin d’introduire la modification suivante à l’article 56 de la Constitution Fédérale qui régit le droit d’association: «les sociétés franc-maçonniques [sic], les loges maçonniques […] sont interdites en Suisse». La participation fut de 64,5%, ce qui est un taux inhabituellement élevé, et l’initiative fut rejetée par plus de 513'000 voix contre 232'000.
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Les
obédiences maçonniques du monde entier sont d’accord sur un point
fondamental : la franc-maçonnerie n'est pas une religion.
La
majorité des francs-maçons de langue anglaise définit la franc-maçonnerie
comme « un système particulier
de moralité, voilé sous des allégories et illustré par des symboles ».
Mais pour beaucoup d’entre nous, sa caractéristique essentielle réside dans
les initiations qu’elle confère par l'intermédiaire de ses loges au moyen de
rituels comprenant des symboles se rapportant à la notion de construction. Le
symbole du Grand Architecte de l'Univers donne à ces initiations une dimension
universelle.
L’esprit
de la franc-maçonnerie suisse est résumé dans le Point iv des Principes Généraux
de la Grande Loge Suisse Alpina :
Elle affirme la
liberté de conscience, de croyance et de pensée et repousse toute entrave à
ces libertés. Elle respecte toutes les convictions sincères et réprouve toute
opposition à la liberté de pensée.
La
franc-maçonnerie devient ainsi un lieu d'heureuse rencontre ou, selon le titre
souvent porté autrefois par des loges d'expression française, une réunion
d'élus. Élus ayant reçu une qualité particulière qui les rend
susceptibles d'être initiés. Élus par leurs Frères qui les ont reconnus
comme tels.
La
franc-maçonnerie est souvent qualifiée d’Ordre traditionnel. La tradition
est une notion floue pour beaucoup (qui attendent qu'on leur donne la première
lettre), rigide pour d'autres (qui s'attachent à la lettre plus qu'à
l'esprit), vivante pour ceux qui savent appliquer les paroles du Zohar :
« Le sens littéral de l'Écriture c'est l'enveloppe, et malheur à celui
qui prend cette enveloppe pour l'Écriture-même ».
Pour transmettre son enseignement, la franc-maçonnerie n’utilise que des
symboles. Parce que cet enseignement n’est pas transmissible par des mots.
La
franc-maçonnerie est une société initiatique.
Initiation
La franc-maçonnerie est par essence initiatique. Son but premier est de
transmettre et de conférer une initiation.
L’initiation est une technique grâce à laquelle une modification peut
intervenir chez un être humain qui possède des virtualités susceptibles d’être
éveillées. Cette technique n’apparaît magique que parce que nous en
constatons les effets sans en comprendre le mécanisme.
Pour que l’initiation que la franc-maçonnerie est susceptible de
transmettre devienne effective, certaines conditions doivent être remplies.
Parmi ces conditions, la présence d’un élément en sommeil que l’initiation
éveillera. Cet élément étranger à la culture, à l’intelligence ou au
niveau social, est lié à la notion de qualité humaine qui est indéfinissable.
Si l’on admet que toute la franc-maçonnerie tourne autour de la notion de
construction, que les francs-maçons ont beaucoup en commun et quelques différences,
une image empruntée au livre de Pierre Mariel, Les
Authentiques “Fils de la Lumière”, permet de se faire une idée de
celles-ci.
Les pyramides ont été construites par ceux qui extrayaient les pierres,
les taillaient, les transportaient et les mettaient l’une sur l’autre. Par
ceux qui en avaient dessiné les plans. Et par ceux qui avaient conçu l’idée
des pyramides.
Chacun, à sa manière, participa à la construction.
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