Introduction
D'un point de vue historique, la Franc-Maçonnerie est un phénomène
socio-politique qui a joué un rôle plus ou moins grand dans notre histoire
occidentale, directement ou indirectement, mais toujours de façon constante au
cours des trois derniers siècles.
Cependant, peu de sujets, même encore de nos jours, ont provoqué tant de
polémiques et ont été aussi controversés. La Franc-Maçonnerie appartient à
un chapitre de l'histoire, qui tout récemment encore, est devenu le pôle d'attraction
de deux camps antagonistes, celui des apologistes et celui des détracteurs. Et
cela dans un domaine que nous pourrions appeler de spécialistes ; par contre,
à un niveau plus populaire, la Maçonnerie continue à être fort mal connue,
bien qu'on en parle beaucoup.
Le complot jacobin, ou si l'on préfère, révolutionnaire de la fin du
XVIIIe siècle dans sa lutte contre le Trône et l'Autel sera rapidement
substitué par le complot satanique (habilement inventé et exploité par un
personnage aussi pittoresque que Léo Taxil) spécialement dirigé contre le
pouvoir de l'Eglise. Il dérivera en plein XXe siècle vers le complot judéo-maçonnique
auquel viendront s'ajouter de nouveaux termes "péjoratifs" comme le
mot marxiste ou communiste, trait caractéristique de certaines dictatures,
comme celle du général Franco, pendant laquelle son fameux slogan du complot
" judéo-maçonnique-communiste ", cause de tous les maux passés, présents
et futurs de l'Espagne se transforma en une véritable obsession.
Et alors que de nos jours, la thèse du complot semblait dépassée et même
oubliée, il a suffi du scandale de la Loge italienne P-2, dont la presse a
abondamment parlé, pour que réapparaisse une fois de plus la chasse aux sorcières
et tous les lieux communs sur la conjuration, conduisant même, dans certains
cas, à des réactions de type pathologique.
C'est pourquoi j'ai pensé qu'il serait utile sans doute de consacrer ces
quelques minutes à analyser, plutôt que l'Histoire de la Maçonnerie, l'histoire
d'une certaine antimaçonnerie, afin de dégager l'origine et la formation de
ces clichés et lieux-communs et de mettre en évidence ceux qui ont contribué
à cette formation, surtout au moment où nous sommes témoins de nouvelles
tentatives pour ressusciter ou simplement entretenir un certain nombre de mythes.
Trois clichés concernent ou ont concerné la Maçonnerie en général : le
satanisme, le judaïsme et le communisme. Le satanisme comme anti-église; le
judaïsme ou plutôt le sionisme comme centre du complot international, et le
communisme comme compagnon de route de cette fameuse conjuration.
Il convient d'évoquer, ne serait-ce que brièvement, ceux qui sont et ont été
à l'origine de ces mythes ou préjugés antimaçonniques et qui sont tantôt
les auteurs, tantôt les bénéficiaires de cette triple identification maçonnique.
Et nous pourrions sans doute y voir plus clair si nous connaissions les
relations de certains régimes totalitaires avec la Maçonnerie et particulièrement
les attitudes antimaçonniques adoptées par le fascisme, le national-socialisme
et les autres "ismes", sans oublier les dictatures du prolétariat,
grâce à celles de leurs principaux personnages.
Comme l'écrit Léon Poliakov dans son Essai sur l'origine des persécutions,
nous sommes en présence d'une sorte de "vision policière de l'histoire",
c'est-à-dire les "plot-théories" des auteurs anglo-saxons chez
lesquels le mot"plot" est en relation avec les intrigues, les
conspirations ou, si nous préférons, les conjurations et les complots. N'oublions
pas qu'en ancien français un "complot" n’est qu'une réunion de
personnes". Plus suggestif est le mot russe équivalent, zagovor,
qui signifie littéralement "parler derrière", parler en cachette de
quelqu'un, ce qui suppose déjà une conjuration. Partout il y a complot.
Comme nous le savons déjà - selon la thèse de "la vision policière
de l'histoire" mise à la mode par Manès Sperber en 1953 - il faut imputer
les malheurs de notre monde à une organisation ou entité maléfique ; par
exemple aux jacobins, aux juifs, aux Maçons...
Et, dans cette optique, ce n'est pas par hasard que les phénomènes
totalitaires, au XXe siècle, aient dû recourir à l'utilisation d'ingrédients
"anti" du système, particulièrement, l'anti-judaïsme, l'anti-communisme
et l'anti-maçonnerie. Le cas de Mussolini, lors de la dissolution des loges
italiennes en 1925, ou celui de Hitler qui l'imita en 1934, "comme défense
contre la conspiration judéo-maçonnique" est suffisamment significatif et
connu. Nous pourrions en dire autant des régimes de Vichy avec le Maréchal Pétain
ou de Lisbonne avec Salazar. En Espagne, les ingrédients les plus utilisés
furent l'anti-communisme et l'anti-maçonnerie qui finirent par devenir
des éléments importants de la dialectique du système.
Mais tout cela ne constitue pas une nouveauté et n'appartient pas non plus
exclusivement à des attitudes politiques plus ou moins contemporaines, car, dès
la fin du XVIIIe siècle, le mythe des sectes et de la grande conspiration
constitua l'essence même de la pensée réactionnaire et fut utilisée comme
l'une des défenses les plus efficaces pour la persécution et la répression du
libéralisme naissant.
La naissance du monde des droits de l'Homme est l'une des gloires de notre
civilisation occidentale. Mais cela supposa, en même temps, l'organisation de
forces sociales, politiques et religieuses qui considérèrent la liberté ou l'égalité
comme perverse ou néfaste, oeuvre des sectes dites philosophique et franc-maçonnique.
Sectes qui par leur idéologie révolutionnaire, tout en minant la société
européenne de l'Ancien Régime, portaient aussi atteinte aux fondements de la
société humaine.
La réaction des forces qui, jusqu'à la Révolution française, avaient eu
le pouvoir entre leurs mains fut de condamner et de persécuter - souvent avec
violence - ceux qu'elles considéraient comme les idéologues ou responsables du
changement.
Il est certain qu'au XVIIIe siècle tout comme au XIXe et au XXe, dans l'élaboration
du mythe du complot furent employés des termes - comme celui du secret - décisifs
pour justifier juridiquement les persécutions de ceux qui finirent par être
identifiés comme les protagonistes de ce que quelques auteurs ont appelé
"le complot" permanent de l'histoire des peuples.
Qu'il suffise de rappeler dans ce sens la définition actuelle de
"complot" : Résolution concertée en commun et secrètement contre
quelqu'un, et particulièrement contre l'Etat ou la forme de gouvernement.
Définition dans laquelle nous trouvons deux éléments : celui du secret et
celui de l'opposition concertée contre l'Etat ou le gouvernement. Définition
qui est proche de celle utilisée par le droit romain - encore au XVIIIe siècle
- et qui fut cause de l'interdiction de la Maçonnerie et de la persécution des
Maçons dans de nombreux pays pendant le siècle dit des Lumières. Car, d'après
la juridiction de l'époque fondée précisément sur le droit romain, …toute
association ou tout groupe non autorisé par le Gouvernement était considéré
comme illicite, centre de subversion et un danger pour le bon ordre et la
tranquillité de l’Etat.
Bien sûr, nous sommes à un moment de l'histoire où les Etats étaient
absolutistes ou despotiques (parfois atténués par le titre de despote éclairé"
attribué à leur chef) et dont les attitudes politiques fondamentales différaient
peu de celles adoptées par certaines dictatures plus récentes, pour lesquelles
la notion de secret a servi aussi à justifier une persécution qui
probablement avait d'autres buts.
Comme nous allons le voir, il est cependant certain que parfois, sans oublier
le secret, l'accent est mis sur d'autres problèmes plus spécifiques de
certaines conceptions matérialistes de l'histoire, spécialement en ce qui
concerne la lutte des classes.
Pour en arriver donc à un domaine concret et, en suivant un ordre
chronologique inverse de celui utilisé généralement en histoire, je vais
essayer de donner une vision rapide et synthétique de ce que, dans ce contexte
du complot de l'histoire, la Maçonnerie a été supposée être dans notre
histoire contemporaine. Il faudra le faire en trois phases ou plutôt sur trois
moments historiques qui vont du XXe au XVIIIe siècles, pendant lesquels la
Franc-Maçonnerie ou plus exactement l'anti-maçonnerie fut liée à trois
institutions aussi différentes que les totalitarismes, le judaïsme et l'Eglise
catholique.
Je me limiterai aujourd'hui à faire allusion à ce qui dans mon pays -
jusqu'à une date récente - a été une sorte de dogme ou de croyance généralisée.
Je parle de l'identification établie entre la Maçonnerie et le communisme,
identification qui fut déterminée pratiquement sur le plan juridique, puisque
par la Loi du 1er mars 1940, qui s'appelle précisément Loi de Répression
de la Maçonnerie et du communisme, les deux institutions furent interdites,
persécutées et jugées pour les mêmes délits, à savoir subversion à l’égard
des principes fondamentaux de l'Etat et trouble de l'ordre public.
Communisme et Maçonnerie
Et cependant cette identification du binôme Maçonnerie-Communisme, qui a été
si profondément enracinée en Espagne pendant quarante ans, est d'autant plus déconcertante,
que, pendant très longtemps, les seules nations où la Maçonnerie était
interdite, par conséquent hors la loi et de ce fait poursuivie, furent
justement l'Espagne, le Portugal et l’URSS avec ses pays satellites sauf Cuba.
C'est-à-dire les pays totalitaires de droite ou de gauche, ceux qui ont un
besoin vital des "anti" comme tactique nécessaire à la formation des
mentalités, attitude qui permet de rejeter toute responsabilité du mauvais
fonctionnement du système.
Actuellement, les changements politiques intervenus au Portugal et en Espagne
ont permis le retour des Maçons et la légalité de leurs activités. Ainsi,
l'interdiction et la persécution de la Maçonnerie, n'existe plus - exception
faite de Cuba - dans les nations sous régimes communistes, particulièrement
celles naguère contrôlées par l'URSS, c'est-à-dire celles de l'Europe de
l'Est ; il est vrai qu'il faut y ajouter depuis peu quelques pays arabes qui
justifient leur veto pour des motifs sans doute plus liés au prétendu complot
imaginaire sioniste-maçonnique et surtout au fondamentalisme musulman.
Si, de nos jours, la tentative d'assimilation de la Maçonnerie au communisme
reste vraiment incompréhensible - à moins que l'ignorance ne soit voulue et préméditée
– ce qui l'est encore plus, c'est que des systèmes totalitaires aussi
radicalement anticommunistes que celui de Salazar ou de Franco, aient su
exploiter, avec une telle insistance, cette conjuration maçonnique-communiste
imaginaire, alors qu'il était facile de démontrer, sur le plan national et
international, l'antimaçonnisme radical et absolu des communistes.
L'Encyclopédie soviétique
Il suffit de lire ce que la Grande Encyclopédie Soviétique (Moscou,
éd. Socialiste de L'Etat, 1954, 2ème éd. Vol. 26, p.442), affirme sous le mot
Massenstvo (Maçonnerie ou Franc-Maçonnerie): La Franc-Maçonnerie est définie
comme un "courant de morale religieuse, héritière des constructeurs des
cathédrales du Moyen Age." Il faut souligner l'insistance avec laquelle
cette encyclopédie précise que dans les Loges - qui gardaient jalousement
leurs secrets – se réunissaient principalement des personnes qui
appartenaient à des milieux privilégiés de la haute société; que les grades
supérieurs étaient l'apanage des représentants de la haute aristocratie et de
la bourgeoisie; que la Maçonnerie recommandait "l'union de tous les hommes
sur la base de l'amour universel, de l'égalité de la foi, et de la coopération
dans le but d'améliorer la société humaine par la connaissance d'elle-même
et de la fraternité."
C'est là que vient s'ajouter un élément décisif pour comprendre l'interprétation
de la Maçonnerie selon le point de vue de l'Encyclopédie Socialiste : "En
proclamant la fraternité universelle dans des conditions d'antagonisme de
classes, elle contribuait à renforcer l'exploitation des hommes, car elle éloignait
les masses laborieuses du combat révolutionnaire. La Franc-Maçonnerie se
proclamait en faveur de nouvelles formes plus raffinées du rêve religieux,
suscitant la mystique, développant le symbolisme et la magie."
Puis, viennent ensuite une vingtaine de lignes sur l'histoire de la Maçonnerie
en Russie, vue sous le même angle, pour terminer avec ces mots : "A notre
époque la Franc-Maçonnerie est un des mouvements les plus réactionnaires des
pays capitalistes et celui qui est le plus répandu aux Etats-Unis où se trouve
le centre de son organisation."
Tout l'article se trouve rédigé au passé, puisque la Maçonnerie était
interdite en Russie depuis 1917. D'autre part, le soin avec lequel a été défini
le caractère "réactionnaire" de la Maçonnerie, du point de vue de
la lutte des classes, est quand même très éloquent. Sur ce point, Trotsky
lui-même en était venu à affirmer dans Izvestia que la Maçonnerie était
la peste du communisme : La Maçonnerie est aussi réactionnaire que l'Eglise et
le Catholicisme. Elle camoufle la nécessité de la lutte des classes sous un
manteau de formules moralisantes. Elle doit être détruite par le feu rouge.
La Maçonnerie qui avait déjà eu de sérieux problèmes durant les dernières
années de l'autocratie tsariste fut définitivement et totalement supprimée en
1917 par l'installation du régime soviétique. À nouveau encore, le 3 juin
1960, le journal Izvestia de Moscou, dans un article intitulé précisément
"Jésuites sans soutane", dénonçait la Maçonnerie comme un
"organisme de comploteurs capitalistes au service de l'impérialisme."
La politique antimaçonnique imposée dès 1917 en Union Soviétique s'étendit
à partir de 1921 à tous les partis communistes occidentaux en vertu de la décision
adoptée par la 3e Internationale lors de son Congrès de Moscou.
La Troisième Internationale
Les deux premiers Congrès de l'Internationale Communiste (1919-1920) avaient
laissé de côté le sujet de la Maçonnerie. Cependant, lors du troisième
Congrès (1921) organisé par Lénine et Trotsky, ce dernier demanda que l'adhésion
à la Maçonnerie fût interdite à tous les membres du parti, "puisque la
Maçonnerie ne représente rien d'autre qu'un processus d'infiltration de la
petite bourgeoisie dans toutes les couches sociales." Et il ajouta que la
solidarité, principe fondamental de la Maçonnerie, constituait un obstacle sérieux
à l'action prolétaire et que la liberté revendiquée par la Maçonnerie était
un concept bourgeois opposé à la liberté de la dictature du prolétariat."
Il précisa en outre : "La Maçonnerie, par ses rites, rappelle les
coutumes religieuses, et il est bien connu que la religion domine, avilit le
peuple. Son dernier argument fut que la Maçonnerie représentait une grande
force sociale et par suite du secret de ses séances et de la discrétion
absolue de ses membres, elle constituait un Etat dans l'Etat." (Manifestes,
thèses, résolutions des quatre premiers Congrès mondiaux de l'Internationale
Communiste, 1919-1923 (textes complets), Paris, Bibliothèque Communiste, 1934,
pp. 197-198). Ce point de vue de Trotsky fut approuvé par le Congrès et la
Troisième Internationale interdit à ses membres de faire partie de Loges maçonniques.
Cependant il fallut attendre le quatrième Congrès (Moscou 11-20 novembre 1922)
pour que - à la suite des problèmes surgis dans le parti communiste français
(note 8, p. 218) - soit ajoutée une condition supplémentaire aux 20
indispensables pour être admis au sein du parti communiste: l'incompatibilité
du communisme et de la Maçonnerie.
Le Congrès chargea le Comité directeur du parti communiste français de
mettre fin avant le premier mars 1923 à toutes les relations entre le parti et
les Maçons. Celui qui, avant le 1er janvier, n'aurait pas déclaré ouvertement
et rendu publique dans la presse du parti sa rupture définitive avec la Maçonnerie
serait exclu automatiquement du parti. La dissimulation de l'appartenance à la
Maçonnerie serait considérée comme l'infiltration d'un agent ennemi à l'intérieur
du parti. Dans ce cas, la condamnation de la Maçonnerie était fondée sur une
incompatibilité morale entre une association ayant pour base la religion de la
tolérance et un parti créé à partir d'un dogmatisme révolutionnaire. Mais
en plus les Francs-Maçons furent traités d'ambitieux, d'opportunistes et de
partisans de la collaboration des classes.
C'était l'époque où en France le parti communiste comptait un assez grand
nombre de Maçons, parmi lesquels un bon nombre de dirigeants comme
Ludovic-Oscar Frossard et Morizet qui, face à l'ultimatum du congrès de
l'Internationale, décidèrent d'abandonner le parti et de rester en Maçonnerie.
C'est aussi ce que fit Antoine Coen qui, quelques années plus tard deviendra,
Grand Maître de la Grande Loge de France.
À titre de curiosité, signalons qu'à la même époque, par suite de l'adhésion
au parti communiste du Franc-Maçon Camélinat, le parti communiste devint
propriétaire de l'Humanité, le journal fondé par Jean Jaurès.
La presse de l'époque fait état de quelques interventions antimaçonniques
en Russie, comme celle du 26 juillet 1928 qui publiait une nouvelle en
provenance de Leningrad : Le Soviet général central de Leningrad a procédé
pendant la nuit à la fermeture et à la liquidation de toutes les Loges maçonniques.
Les directeurs des deux Loges les plus importantes, la "Delphis" et la
"Fleur d'Acacia" ont été arrêtés et conduits devant les tribunaux
soviétiques. Ils sont accusés de recevoir des subsides de Loges connues pour
être des foyers du capitalisme.
De 1922 à 1945 la consigne antimaçonnique du P.C. n'a connu aucun
changement. Cependant entre 1941 et 1944 la Résistance française parvint à créer
des liens entre ceux qui étaient persécutés par le même ennemi. Il y eut des
tentatives de réconciliation en 1945 mais elles n'aboutirent pas. Le fait que
la Franc-Maçonnerie ait continué à être rigoureusement interdite en Russie
et dans les autres pays de l'Est est suffisamment symptomatique. De même, il
faut relever l'intérêt que suscitait dans les universités de ces pays le
sujet de la Maçonnerie en tant que fait historique.
La publication, en 1982, à Varsovie, de l'important ouvrage de Ludwik Hass,
intitulé Franc-maçonnerie dans l'Europe centrale et de l'Est aux XVIIIe et
XIXe siècles nous livre un des derniers exemples de cette obsession.
Cependant cette attitude d'opposition à la Maçonnerie n'est pas le propre des
pays communistes car - et nul ne l'ignore - les régimes de caractère fasciste
et totalitaire adoptèrent la même position en interdisant et en persécutant
la Maçonnerie.
Fascisme et Franc-Maçonnerie
La première mesure officielle que le fascisme italien prit contre la Maçonnerie
se produisit à la suite de la délibération du Grand Conseil National fasciste
du 15 février 1923. Au cours de ces débats, entre autres choses, on aborda le
thème "Parti et Maçonnerie" avec la participation du Duce et de
quatorze autres membres du Conseil. La question de fond qui y fut débattue,
tout comme lors de la Troisième Internationale, était le problème de
l'incompatibilité. Et le résultat fut le même, lorsque les fascistes qui étaient
Maçons furent invités à choisir entre le Parti National Fasciste et la Maçonnerie.
En réalité cette attitude du parti dans l'exercice du pouvoir n'était pas
nouvelle, pas plus que la déclaration de l'incompatibilité entre Maçons et
fascistes, car le 28 septembre 1922, l'honorable de Stefani avait incité les
fascistes vénitiens, dont il était le secrétaire, à discuter de ce problème,
pour arriver à faire adopter la résolution suivante: "l'appartenance au
Parti National Fasciste était incompatible avec l'appartenance à la Maçonnerie."
Dans la même voie, en 1914 déjà, lors du Congrès d'Ancône (26-29 avril),
Benito Mussolini, en tant que créateur des groupes de combat (les Chemises
noires), avait déclaré l'incompatibilité entre la Maçonnerie et le
socialisme, tout comme il l'avait fait quelques années auparavant au Congrès
de Bologne de 1904.
La réaction de la Maçonnerie italienne aux mesures prises par le Grand
Conseil National Fasciste du 15 février 1923 fut rendue publique trois jours
plus tard par une déclaration dans laquelle les responsables de la Maçonnerie
laissaient les Frères fascistes libres de rompre toutes relations avec la Maçonnerie
et de rester au Parti Fasciste, s’ils le désiraient.
Mais comme cela s'était passé en France avec la déclaration
d'incompatibilité entre le P.C. et la Maçonnerie, nombreux furent les Frères
italiens (généraux, avocats, etc...) qui préférèrent abandonner le fascisme
et rester en Maçonnerie.
Dans l'escalade antimaçonnique du Conseil national du Parti National
Fasciste, il faut signaler la décision prise le 29 janvier 1924 … en vue de défendre
le patrimoine moral et idéal de la jeunesse fasciste face aux sectes secrètes",
qui étaient une école de corruption politique… d'émettre un vote pour déclarer,
au nom de la révolution fasciste, l'incapacité parlementaire de quiconque
serait lié aux sociétés secrètes.
Cette déclaration et d'autres du même style furent accompagnées d'attaques
et d'incendies de locaux et de temples maçonniques qui perdirent ainsi une
bonne partie de leurs archives. Les protestations et déclarations de la Maçonnerie
ne servirent à rien. Celle-ci finit par organiser, à Milan, le 13 décembre
1924, le Grand Convent Maçonnique, au cours duquel le Grand Maître Torrigiani
affirma : … que les idéologies nées du fascisme et, plus que les idéologies,
les instincts, étaient inconciliables avec les conceptions de la Maçonnerie.
Rapport et Loi antimaçonnique
Peu après, le gouvernement italien, grâce à la commission des Quinze, prépara
un rapport historique et systématique sur la signification et l'œuvre de la Maçonnerie.
La Commission était présidée par le Sénateur Giovanni Gentile, et le texte
fut rédigé par Giacchino Volpe et le professeur Francesco Ercole, recteur de
l'Université de Palerme. Après une introduction historique, le contenu
s'articulait en une série de points dont voici les plus importants :
- La Maçonnerie véhicule une mentalité étrangère, surtout française
qui, même en France, est considérée comme anachronique.
- Vaine est sa prétention de se considérer comme une anti-église, par son
cosmopolitisme et par sa lutte contre les Etats Pontificaux.
- Le secret corrompt les habitudes et le caractère des Italiens
"enclins à la franchise et à la sincérité."
- L'anticléricalisme "mesquin, factieux et désuet" trouble la vie
nationale et fait obstacle au rapprochement progressif entre l'Italie et la
Papauté.
- Derrière cette façade se cache une sorte d'organisation de type
"Camorra" de défense des intérêts purement privés, nuisible,
surtout, dans l'armée et la magistrature. Et l'arme de cette "Oeuvre maléfique"
est le secret.
Les points clefs de ce rapport de la Commission s'appuyèrent donc sur deux
problèmes fondamentaux: le secret et l'internationalisme qui, par ailleurs, étaient
déjà sanctionnés dans d'autres pays, comme le stipule par exemple la législation
allemande de 1908.
Le 12 janvier 1925, après lecture de ce document, Mussolini soumit à la
Chambre un projet de Loi. La discussion eut lieu du 16 au 19 mai. Mussolini
lui-même présenta le texte de la Commission des Quinze. Après avoir admis que
tous connaissaient le rôle joué par les sociétés et les sectes secrètes
lors du "Risorgimento" italien, il déclara que l'existence de
ces sociétés se justifiait au temps de l'esclavage et non au temps de la
liberté. Pour l'ère nouvelle, la survie de telles sociétés, précisément à
cause du secret, était incompatible avec la souveraineté de l'Etat et la
liberté de tous les citoyens devant la loi...
Durant son intervention, Mussolini nuança chacun des points réunis dans le
rapport de la commission, afin de ne pas donner l'impression de persécuter,
d'interdire ou de limiter en quoi que ce soit le droit d'association.
Le Secret
La loi approuvée par 304 voix sur 304 présents, fut appliquée par un décret
qui, en fait, comprenait deux articles. Le premier exigeait la communication aux
autorités du Parti National Fasciste des actes, constitutions, statuts, règlements
intérieurs, listes des membres et charges sociales et tous renseignements
relatifs à l'organisation et à l'activité des associations en question...
tout cela sous menace de sanctions économiques (amendes) et de prison.
L'article 2 était adressé aux fonctionnaires, employés et agents de
l'Etat, des provinces, des communes ou instituts placés sous la tutelle de
l'Etat, leur interdisant sous peine de destitution d'appartenir à des sociétés
qui fonctionneraient de façon clandestine ou cachée, et dont les membres étaient
normalement unis par le secret.
L'approbation par le Parlement de cette loi qui ne faisait aucune mention de
la Maçonnerie, fut cependant reconnue de tous comme loi anti-maçonnique ; elle
relança la violence fasciste, avec des occupations, des pillages, des
assassinats, des incendies, etc... La Rivista massonica, après de
nombreuses saisies dans les mois les plus durs, cessa sa publication de novembre
1924 à avril 1925. Le Grand Maître lui-même prit position publiquement en
affirmant que la Maçonnerie n'était pas et ne pouvait pas être une société
secrète. Cependant il ne pouvait tolérer des mesures de contrôle de ses
affiliés en l’absence de garanties de tolérance suffisantes, du respect des
opinions et de la liberté de chacun.
Après les vacances parlementaires, le Sénat, à son tour, approuva la loi
le 20 novembre, après une courte discussion de deux jours. La loi devait être
publiée dans la Gazette Officielle le 26 novembre. Mais avant qu'elle ne fut
promulguée dans le Journal Officiel, et pour éviter des cas de conscience à
de nombreux Maçons, le Grand Maître Torrigiani, donna, le 22 novembre, l'ordre
d'auto-dissolution des Loges disséminées à travers toute la péninsule et les
îles.
ar cette décision drastique et extrême, la Maçonnerie choisissait sa
propre destruction et disparition, mesure qui n'évita pourtant, ni la persécution,
ni l'exil, ni la mort à un grand nombre de Maçons, victimes des fameux
Bataillons d'action fasciste plus ou moins incontrôlés.
La pensée de Mussolini derrière cette vague de persécutions apparaît dans
les mots prononcés devant les Directeurs fédéraux du Parti National Fasciste,
à Rome, le 27 octobre 1930 : "Les Maçons en sommeil pourraient se réveiller.
En les éliminant, nous sommes sûrs qu'ils dormiront pour toujours !"
Salazar et la Maçonnerie
Quelques années plus tard, l'expérience italienne allait se renouveler dans
le Portugal de Salazar. Le Dr Oliveira Salazar, ancien professeur à l'Université
de Coimbra, devenu le "sauveur de la patrie", tout comme les autres
dictateurs de l'époque, fixa son attention sur le danger des sociétés secrètes
comme étant responsables de la décadence du Portugal.
Convaincu que son œuvre de "restauration" était menacée par les
Loges, il demanda au Dr Abel de Andrade, professeur de droit à l'Université de
Lisbonne, ainsi qu’au député José Cabral d’établir un rapport sur les
sociétés secrètes qui devait finalement être approuvé et promulgué
officiellement le 21 mai 1935. La loi en question, qui portait le N° 1901, fut
rendue publique par le ministre de la Justice "au nom de la nation" et
par décret de l'Assemblée nationale.
À nouveau les sociétés secrètes étaient frappées d’interdit en Europe
par une loi exhaustive présentant quelques aspects en commun - même dans sa
formulation - avec la loi fasciste vieille de dix ans et dont elle s’était
manifestement inspirée.
Comme dans le cas de l'Italie, l'article 1er spécifie en détail les
informations qui devaient être fournies aux gouverneurs civils concernant les
statuts, règlements, listes des membres avec les indications des professions et
responsabilités sociales, etc... ainsi que les sanctions économiques et de
prison, dans le cas ou les informations ne seraient pas transmises ou seraient
falsifiées.
L'article 2 introduit une nouveauté par rapport à la loi italienne, en spécifiant
ce qu'il fallait entendre par société secrète, bien qu’évitant, elle
aussi, de citer nommément la Maçonnerie qui était spécifiquement visée.
Dans l'article 3 la loi portugaise rejoint la loi italienne de Mussolini, en
interdisant à tout fonctionnaire, civil ou militaire, de s’affilier dans des
associations prévues dans l'article 2.
Logiquement, cette loi connut une large diffusion et fut l’objet d’une
grande publicité dans les revues antimaçonniques de l'époque, particulièrement
la Revue Internationale des Société secrètes.
Comme il ressort de la lecture, il s'agit en fait de deux lois complémentaires
et unifiées, l'une relative aux sociétés secrètes et l'autre aux
fonctionnaires. Dans un délai d'un mois tous les fonctionnaires de l'Etat,
civils ou militaires, durent jurer qu'ils ne faisaient pas partie et qu’à
l'avenir ils ne feraient partie d'aucune société secrète.
Polémique dans la presse
Cependant la loi portugaise fut durement critiquée lors de sa discussion à
la Chambre, provoquant une curieuse polémique entre le quotidien A Voz,
journal du soir, lié à l'Eglise et pro-salazariste, et le Journal de
Lisbonne, journal du soir démocrate-libéral. Mgr. Joaquin Mendéz Guerra
commença la polémique le 4 février 1935, dans A Voz, par un article où
il considérait le projet de loi comme "naïf" puisqu'il exigeait de
la part des fonctionnaires civils et militaires des déclarations sur l'honneur
de ne pas appartenir à la Maçonnerie et supposait que les nombreux Maçons en
poste dans l'Administration, refuseraient, même sous serment, de se considérer
comme tels.
Le principal auteur du projet de loi, José Cabral, lui répondit le 5 février,
en défendant le caractère pratique du projet. Le 9, Mendés Guerra revenait à
la charge. La réponse de Cabral le 12 du même mois mettait fin à une polémique
dans laquelle un organe d'expression de l'Eglise Catholique considérait le
projet comme encore trop faible.
D'un tout autre caractère fut la polémique, elle aussi publiée dans le
Journal de Lisbonne, à partir du 4 février et soulevée par le poète Fernando
Pessoa. Celui-ci, se déclarant ni Maçon ni antimaçon, écrivit un long
article critiquant le projet de Cabral qui rejoignait, tant par sa nature que
par son contenu, les meilleures traditions des Inquisiteurs.
Dans son article, Pessoa relève qu’étant donnée l'imprécision avec
laquelle sont définies dans le projet les sociétés secrètes - celles qui
adoptent des décisions non prises en public, ou celles qui sont semi-privées -
José Cabral en personne devrait être dénoncé pour appartenance à une société
secrète : le Conseil des Ministres. En outre, ajoutait-il, tout ce qui se fait
de sérieux ou d'important dans ce monde, se fait en secret, car les conseils
des Ministres ne se réunissent pas en public, pas plus que les Etats-majors des
partis politiques, ni les conseils d'administration des sociétés commerciales
ou industrielles... ni même les comités directeurs des équipes de sport.
Pessoa affirme que le projet de loi, apparemment dirigé contre "les
associations secrètes" en général, était en fait dirigé pratiquement,
entièrement contre la Maçonnerie, qui n'est pas - dira-t-il - une simple
association secrète, mais un ordre initiatique, dont le secret est commun à
tous les ordres initiatiques, à tous les "Mystères" et à toutes les
initiations, transmises directement de maître à disciple.
Mis à part ce que peut signifier, à cette époque, une telle polémique qui
en dit long sur la liberté d'esprit de son auteur, le résultat pratique fut
nul car la loi fut promulguée, et immédiatement la seule voie pour la plupart
des 9’500 Maçons portugais, répertoriés alors comme tels, fut la persécution
ou l'exil. La justification de cette mesure a paru en 1942, dans la revue antimaçonnique
parisienne Les Documents Maçonniques (dirigée par le collaborateur Bernard Faÿ,
très connu et apprécié de certains milieux universitaires pour son ouvrage La
Franc-Maçonnerie et la révolution intellectuelle au XVIIIe siècle) sous ces
termes : On s'est attaqué aux sources de la corruption politique, c'est-à-dire
aux Loges maçonniques portugaises, inféodées aux Internationales judéo-maçonniques
qui font le jeu des puissances souterraines... Quelles puissances? les milieux
judaïques anglo-américains, explique-t-on quelques lignes plus loin.
Judéo-maçonnisme
Dans l'Allemagne d'Hitler ainsi que dans la France du Maréchal Pétain, le
thème de la lutte contre la Maçonnerie fut intimement lié, non seulement à
l'interdiction des sociétés secrètes et à la suppression du marxisme
international, mais aussi tout particulièrement à la question juive.
L'identification qu’Hitler et ses proches collaborateurs et les théoriciens
du national-socialisme firent entre Maçons et Juifs fait que ce thème nécessiterait
un traitement spécial.
Franco et la Maçonnerie
Finalement il nous reste un dernier modèle de dictature qui s'est caractérisé
par une obsession antimaçonnique particulière, celle du général Franco en
Espagne.
De façon très schématique, les mesures prises par Franco furent les
suivantes : de mai à août 1935, six généraux Maçons, grands chefs
militaires à cette époque furent révoqués, y compris le directeur de l'Ecole
Supérieure de Guerre.
Une semaine avant la révocation du premier général Maçon, le général de
division Francisco Franco Bahamonde, jusqu'alors commandant en chef des forces
militaires au Maroc, fut nommé chef du Grand Etat-Major de l'Armée.
Avec le soulèvement militaire du 18 juillet 1936, l'histoire de la Maçonnerie
espagnole entre dans une période de persécution et de destruction systématiques.
Le premier décret de Franco contre la Maçonnerie comprend cinq articles ; il
date déjà du 15 septembre 1936 et fut signé à Santa Cruz de Ténériffe par
celui qui était alors commandant en chef des Iles Canaries. Le premier article
déclare la Franc-Maçonnerie et les autres associations clandestines contraires
à la loi et leurs militants - qualifiés d'activistes - considérés comme
rebelles. Les autres articles obligeaient - sous de peines sévères - les Maçons
à brûler tous les papiers maçonniques, emblèmes, écrits de propagande,
etc… en même temps qu'étaient confisqués les biens de la Maçonnerie.
Comme conséquence de ce décret, le temple maçonnique de Santa Cruz de Ténériffe
fut cédé à la Phalange Espagnole qui distribua et afficha l'avis suivant :
"Secrétariat de la Phalange Espagnole. Visite de la salle de la Loge maçonnique
de Santa Cruz ; demain dimanche 30 de 10 h. à 12 h. et de 3h à 6 h. Entrée
0.50 ptas."
Le 21 décembre 1938, Franco décréta que toutes les inscriptions ou
symboles de caractère maçonnique, ou qui pouvaient être jugés offensants
pour l'Eglise catholique, devaient être détruits et enlevés de tous les
cimetières de la zone nationale dans un délai de deux mois.
Phalange et Maçonnerie
Que la Phalange se soit emparée de l'édifice de la Loge de Santa Cruz et se
soit chargée de l'exploitation n'a rien d'étonnant car, à cette époque, la
campagne phalangiste contre la Maçonnerie avait pris les devants sur celle de
Franco suivant ainsi l'exemple de Mussolini en Italie et d’Hitler en
Allemagne.
Déjà en août 1936, la phalange avait lancé une proclamation suffisamment
éloquente : "Camarade! Ton devoir est de pourchasser les juifs, la Maçonnerie,
le marxisme et le séparatisme. Détruis et brûle leurs journaux, leurs livres,
leurs revues, leurs propagandes."
Le thème de la Maçonnerie lié a celui du judaïsme, du marxisme et du séparatisme
apparaît à cette époque dans la presse de la Phalange, comme le journal Liberté,
de Valladolid ; Arriba, de Madrid ; Amanecer, de Saragosse, etc...
À partir du mois d'août 1936 précisément, le quotidien phalangiste de
Madrid, Arriba, incitait ouvertement à une croisade contre la politique, le
marxisme, la Maçonnerie, en y ajoutant un avertissement solennel à cette dernière
et à la diplomatie juive. Au sujet de la psychose antimaçonnique qui se créa
depuis les sphères officielles, tout au début de la guerre, ce que publia sous
le titre "Les Maçons", en date du 19 septembre 1935, le journal de La
Phalange Amanecer de Zaragoza, est assez symptomatique: "Il nous
semble salutaire d'insister sur la question de la Maçonnerie. Le mal que cette
société pernicieuse a causé à l'Espagne est tel que ni la Maçonnerie ni les
Maçons ne peuvent échapper à un châtiment exemplaire. Châtiment exemplaire
et rapide voilà ce que réclament tous les Espagnols pour les maçons rusés et
sanguinaires... Il faut en finir avec la Maçonnerie et les Maçons."
Châtiment exemplaire et rapide
Sur la rapidité du châtiment réclamé par la presse officielle fasciste
espagnole, quelques renseignements - conservés aux Archives que Franco
rassembla à Salamanque pour l'épuration politique - correspondant à la seule
année 1936, sont suffisamment éloquents:
De la Loge "Helmantia" de Salamanque, furent fusillés 30 Maçons,
parmi lesquels un pasteur de l'Eglise évangélique. De la Loge "Constancia",
de Zaragoza, furent assassinés 30 Maçons. Du Triangle "Zurbano"
de Logroño, 15 Frères furent fusillés; du Triangle "Libertador",
de Burgos, 7 et de celui de Joaquin Costa, de Huesca, 7 autres. De la
Loge "Hijos de la Viuda", de Ceuta, 17. De la Loge" Trafalgar",
de Algesiras, 24 furent fusillés ; de la Loge "Resurrección",
de La Linea, 9 furent assassinés, 7 condamnés aux travaux forcés et 17 autres
parvinrent à se réfugier à Gibraltar... et nous pourrions continuer ainsi,
ville après ville, bourg après bourg.
En octobre 1937, 80 prisonniers politiques furent fusillés à Malaga sous
l'unique inculpation d'être Francs-Maçons. Peu après, les 15 et 16 décembre,
au siège officiel de la Maçonnerie à Madrid, eut lieu le Convent annuel,
auquel assistèrent des représentants de toutes les Loges situées sur le
territoire républicain. Selon les renseignements fournis, sauf de très rares
exceptions, presque tous les Maçons qui n’avaient pas pu fuir de la zone dite
nationale - c'est-à-dire franquiste - avaient été assassinés ou fusillés.
Durant les premiers mois de la guerre civile, le simple fait d'être Maçon
fut considéré comme un "délit de lèse-patrie" ainsi que le
relevait l'article phalangiste de Amanecer du 16 septembre 1936. Les Maçons
"ne pouvaient échapper à un châtiment exemplaire." Il fallait
"en finir avec la Maçonnerie et avec les Maçons." Le simple fait d'être
Maçon fut suffisant pour que des centaines de personnes soient passées par les
armes sans aucune forme de jugement.
Manifeste maçonnique
Devant cette situation, la Maçonnerie de Catalogne lança une proclamation
au peuple où l'on trouvait entre autres, ceci : "Citoyen : par la presse
tu auras été informé que partout où sont passés les fascistes, nos Frères
Francs-Maçons ont été exécutés, souvent après des tortures iniques...
Pourquoi cette haine du fascisme pour la Maçonnerie? Parce qu'elle représente
dans le domaine des idées, l'antithèse du fascisme? Parce que sans être un
parti politique, ni une religion ni une association de classe, la Franc-Maçonnerie
a toujours été un obstacle formidable contre toutes les tyrannies, une barrière
contre le faux nationalisme fasciste..." Et la proclamation concluait que
la Franc-Maçonnerie réaffirmait, une fois de plus sa foi inébranlable dans le
progrès humain et dans les principes de liberté et de justice et sa décision
de poursuivre l'œuvre séculaire en défense des ces sublimes idéaux.
Ce qui frappe, c'est que le général Franco lui-même, dans sa proclamation
du 18 juillet 1936 depuis Santa Cruz de Ténérife, justifia le soulèvement
militaire - et par suite ses conséquences de la guerre civile - par une devise
aussi maçonnique et républicaine que la trilogie Fraternité, Liberté
et Egalité dans laquelle il mit un soin tout particulier à placer en
premier le mot Fraternité.
Lois antimaçonniques
Une année plus tard, le 18 juillet 1937, dans le discours célébrant le début
"de la seconde année triomphale", Franco fit allusion aux "Loges
étrangères et aux comités internationaux" qui combattaient le sentiment
de l'Espagne nationale.
Une fois la guerre civile espagnole achevée et le gouvernement constitué,
la première loi "fraternelle" édictée contre "les Frères Maçons"
date du 9 février 1939 (Loi des Responsabilités politiques). Parmi les partis
et associations, mis hors la loi, figuraient en dernier lieu toutes les Loges maçonniques.
S'y trouvaient aussi inclus tous les députés qui avaient appartenu à la Maçonnerie
en 1936.
Quelque temps plus tard, le général Franco tenta de faire adopter une loi
de poursuite de la Maçonnerie selon laquelle quiconque aurait été Maçon
pourrait être fusillé rétroactivement.
Le ministre de l'Instruction, D. Pedro Sainz Rodriguez et le ministre de la
Justice, le comte de Redezno s'opposèrent à ce projet et leur action fut
soutenue par le nonce, Mgr Cicognani.
Cependant, ce que Franco n'avait pas obtenu en 1939, il l'obtint un an plus
tard lorsque le 1er mars 1940, mélangeant des doctrines aussi opposées que la
Maçonnerie et le communisme il édicta la "Loi pour la répression de la
Maçonnerie, du communisme et autres sociétés clandestines".
Toute propagande ayant exalté les principes ou les bienfaits de la Maçonnerie
était sanctionnée par la saisie des biens et des peines de prison. D'autre
part, les Maçons, outre les sanctions d'ordre économique, étaient définitivement
écartés de tout poste d'Etat, des corporations publiques ou officielles, des
sociétés subventionnées ou des entreprises commerciales, gérances et
conseils d'administration des entreprises privées ainsi que des postes de
confiance, de responsabilité ou de direction. La loi décrétait aussi
l'incapacité permanente pour lesdits emplois, ainsi que l'assignation à résidence
ou l'expulsion.
Des peines de vingt à trente ans de prison furent fixées pour les Hauts
Grades et de douze à vingt pour les grades inférieurs. L'épuration atteignit
un tel degré, qu'il était impossible même de faire partie d'un "Tribunal
de Honor", à quiconque ayant un membre de sa famille au second degré de
consanguinité ou par alliance qui aurait été Maçon.
Sur ce point, il y eut une seule exception sur laquelle le général
Francisco Franco et son entourage ont fait l’impasse : assurément le Caudillo
avait déjà oublié que son frère, Ramon Franco, avait été Maçon depuis le
jour de son initiation à la Loge "Plus Ultra" en 1931, lors de
son court exil à la suite d'un soulèvement militaire raté.
Conséquences de cette loi, les organisations maçonniques et communistes
furent dissoutes, interdites et déclarées hors la loi et tous leurs biens
confisqués. Parallèlement, le Tribunal Spécial pour la répression de la Maçonnerie
et du communisme fut créé. Un fonds d'archives spécial de la Maçonnerie fut
constitué avec tous les documents maçonniques saisis dans différentes villes
espagnoles. Dès cette époque et jusqu’à ces dernières années, les
candidatures à des postes civils et militaires de l'Etat espagnol, dans ses
multiples administrations nationales, provinciales et locales, furent examinées
sur la base des informations fournies par lesdites archives.
Conclusion
En relisant les discours et messages de Franco, on observe que le problème
de la Maçonnerie ou de la conspiration judéo-maçonnique dans certains cas, ou
maçonnico-communiste dans d’autres et le plus souvent dans la triple version
judéo-maçonnico-communiste, était tellement enraciné dans sa personnalité
que, comme le fait remarquer Castilla de Pina dans sa "Psychanalyse de
Franco", ce n'étaient pas des périphrases destinées au grand public,
mais formulées pour lui-même, car "il y croyait et en était
convaincu."
Comme le dit l'un de ses biographes la conviction anti-maçonnique
s'incorporait à Franco presque comme une seconde nature. Franco imputa à la Maçonnerie
toutes les causes de la décadence historique et la dégénérescence politique
de l'Espagne.
Le plus étrange est que cette "anti-maçonnerie", qui finit par
constituer une composante très importante de la dialectique des fascismes et
des totalitarismes, réapparaît actuellement sous une tonalité
pseudo-religieuse et politique dans des pays où il existe toujours des minorités
qui ont besoin de condamner quelqu'un pour croire qu'elles parviendront ainsi à
assurer leur propre salut.
Il a suffi du scandale bien italien de la Loge romaine P-2 ou de la dépénalisation
de la Maçonnerie de la part de l'Eglise dans son nouveau Code de Droit
Canonique pour que, grâce à des publications, les nostalgiques des temps passés
nous fassent remémorer des situations historiques qui nous croyions déjà
oubliées.
Etant donné que le cas d’Hitler est étroitement lié avec le judaïsme et
la Franc-Maçonnerie, cette question ne sera pas abordée ici car elle mérite
à elle seule toute une monographie.
En recevant l'invitation du GRA, l’auteur n’a nourri que le désir et
l’intention de se livrer avec son auditoire à une sereine réflexion
historique, permettant une approche d’un sujet encore polémique et controversé,
bien sûr, mais aussi passionnant et qui mérite tout notre respect en dehors de
toute idéologie ou attitude sociale, politique ou religieuse.
Je voudrais conclure ce panorama de l’intolérance des totalitarismes par
ces quelques mots extraits du message que le Grand Maître national du Grand
Orient Espagnol prononça en mars 1933, lors de l'installation de la loge
"Pensée et Action" à La Corogne:
"Il existe une vertu maçonnique que vous ne devez pas oublier dans
vos travaux : la tolérance ; il en est une autre que vous devez pratiquer sans
faiblir: la fraternité.
Le monde, dans son ensemble, est intolérant. Chaque homme, maître d'une vérité
veut la monopoliser et l'imposer comme si elle était une vérité unique.
L'intolérance est incompréhension et limitation. Savoir que dans chaque âme
se trouve une étincelle de la science divine et que toutes concourent au but
ultime de la perfection universelle permet de comprendre le prochain, de le
disculper et de l'aimer. Que celui qui ne ressent pas cette vertu de la tolérance
soit considéré comme un étranger au sein de la Maçonnerie."
Le Maçon doit aussi cultiver les principes de la fraternité. Aimer ceux qui
nous aiment est facile ; il faut aimer, ou tout au moins excuser ceux qui ne
nous aiment pas. Le monde vit aiguillonné par la haine et il faut changer cela.
Le salut est dans la fraternité et elle sera réalisée dans la compréhension
de ce qui est l'amour.
Les Francs-Maçons espagnols qui avaient écouté ces mots tolérants et
fraternels furent tous assassinés trois ans plus tard, en leur qualité de
Francs-Maçons, victimes de l'intolérance fanatique et totalitaire.
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